
Si vous pensiez que Sheila dans les années 60 n’était qu’une poupée à couettes, enchaînant les chansonnettes vitaminées, détrompez-vous. En 1964, après une tournée harassante dont elle ressort malade et épuisée, elle tente un virage plus calme et plus mature avec Chaque instant de chaque jour, une adaptation de Any Old Time of the Day de Dionne Warwick. Oui, vous avez bien lu : Sheila reprend du Burt Bacharach. Et spoiler : c’est étonnamment réussi.
Dès les premières secondes, une ambiance feutrée s’installe. Chœurs vaporeux, arrangements élégants et cette voix, douce mais chargée d’une mélancolie inattendue. Ici, pas de couplet-refrain bien rangé façon manuel de pop. Chaque instant de chaque jour est une montée en puissance qui ne lâche jamais prise. Sheila livre une déclaration d’amour qui enfle… jusqu’au final, où les je t’aime fusent comme si elle voulait les graver dans le marbre. On se demande franchement pourquoi elle n’a pas exploré cette voie plus souvent.
L’adaptation française est signée Michèle Vendôme (fille du pianiste Raymond Wraskoff), sollicitée par Claude Carrère, qui, fait rare, n’impose pas sa co-signature. Mais au même moment, les éditions proposent également la chanson à Dalida, qui en fait la face A de son propre 45T. Autant dire que ni l’une ni l’autre n’a dû apprécier cette concurrence frontale sur une ballade aux accents tourmentés, où elles se livrent, chacune à leur manière, aux affres de la passion amoureuse.
Déjà autrice de Fado pour Dalida, Michèle Vendôme cosignera plus tard avec Carrère Il faut se quitter, une chanson originale pour Sheila, ainsi qu’une autre adaptation de Bacharach, Oui il faut croire (I Just Don’t Know What to Do with Myself).
Mais voilà, le public de l’époque, habitué à la Sheila insouciante de L’école est finie et Le Sifflet des copains, ne suit pas totalement. Le disque se vend bien, dans la lignée du précédent, mais un peu moins que les cartons de l'année d'avant, comme si les fans avaient eu un léger bug en découvrant leur idole se lover dans une ballade sophistiquée.
Résultat : Sheila reprend vite le chemin des succès plus populaires avec Vous les copains et Ecoute Ce Disque. Ce qui n’empêchera pas la chanson d’être exhumée en 2002, lorsqu’elle la chante enfin sur scène à l’Olympia, comme une revanche tardive.
Alors, Chaque instant de chaque jour, oubli à réparer ou simple curiosité vintage ? Plutôt la première option. La magie Bacharach opère, la voix de Sheila est à son meilleur en demi-teinte, et surtout, c’est un moment suspendu dans sa discographie, une preuve qu’elle aurait pu emprunter des chemins bien différents avec des compositeurs lui offrant des écrins de cette qualité. Une écoute s’impose, ne serait-ce que pour découvrir cette Sheila-là : un brin mélancolique et totalement élégante.
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