
En 1971, alors que Sheila est au sommet de sa popularité grâce aux Rois Mages, elle décide de troquer le char à boeufs pour un billet direction Trinidad aux Caraïbes (La Trinité en français). Une escale musicale ensoleillée, qui fleure bon l’exotisme façon carte postale et les arrangements léchés de Jean-Claude Petit. Mais derrière ce titre dansant se cache surtout la plume malicieuse d’Henri Salvador, grand maître en détournement de chanson populaire.
Un virage musical (presque) assumé
Ce titre s’inscrit dans un projet plus ambitieux : 1er Album, qui – comme son nom l’indique avec une franchise un peu brutale – est le premier véritable album studio de Sheila. Neuf ans après ses débuts, il était temps. Fini les compilations opportunistes, Claude Carrère (son producteur omniprésent) investit dans un studio dernier cri et enfin dans un album qui va tenter de couvrir toutes les facettes de sa protégée. On y trouve du message social (Blancs, Jaunes, Rouges, Noirs), de l’écologie (Vive la Terre), une ode à ses parents (Votre Enfant), des chansons d'amour et bien sûr, Trinidad, qui vient cocher la case « chaleur tropicale et bonne humeur communicative ».
Henri Salvador en embuscade
Quand Henri Salvador se penche sur une mélodie, on peut s’attendre à un mélange de groove et de rythme cool. Trinidad ne fait pas exception. Les arrangements de Jean-Claude Petit, soignés et modernes, donnent une ampleur inédite à ce titre, qui se démarque des tentatives précédentes de Sheila dans le registre exotique (Tout le monde aime danser, La Colline de Santa Maria, Fernando…). Ici, la production est plus efficace, les chœurs puissants, et la ligne mélodique plus accrocheuse.
Trinidad ou l’exil tropical sans quitter son salon
Pour les paroles, Sheila en globe-trotteuse du dimanche, ça donne une carte postale ensoleillée envoyée depuis son salon parisien. Ici, pas besoin de passeport : quelques percussions, un refrain incantatoire (Trinidad, Trinidad... ) et nous voilà téléportés sous les palmiers. Exit la grisaille et le froid hivernal, place aux rythmes chaloupés et aux bidons transformés en batterie de fortune. C’est cliché ? Un peu. Mais c’est surtout diablement efficace. Un morceau qui sent bon l’évasion fantasmée, où le soleil brille toujours et où le rhum coule à flots… du moins dans les paroles !
Une promo en crop-top et ballet grand luxe
Sheila n’est pas du genre à faire les choses à moitié. Pour assurer la promotion de Trinidad, elle enchaîne les passages télévisés (À la manière 2, Télé Dimanche), et s’entoure des danseurs du prestigieux ballet d’Arthur Plasschaert (à noter que si elle fut l’une des premières en France en 1977 à s’entourer de danseurs noirs, les ballets télévisuels manquaient cruellement de diversité 6 ans auparavant…).
Pour cette chorégraphie, en plein dans la mode seventies sexy et colorée, elle combine look ravageur pattes d'eph et pas de danse léchés pour donner un maximum de relief à la chanson. Tout semble réuni pour que Trinidad devienne un incontournable du répertoire de la chanteuse.
Face B et flop incompréhensible
Et pourtant… Malgré une production aux petits oignons, la chanson se retrouve bizarrement reléguée sur un 45 tours début 1972, accolée en face B à J’adore, son duo comique avec Aldo Maccione. Un sabotage organisé par la maison Carrère ? Un manque de flair marketing ? Mystère. Toujours est-il que Trinidad n’accroche pas le grand public, loin du raz-de-marée des Rois Mages. Un échec relatif qui condamne le titre à l’oubli… jusqu’en 2006, où Sheila le ressuscite le temps d’une série de concerts au Cabaret Sauvage puis à l’Olympia, dans une version guitare-voix sobre et élégante.
Conclusion : une pépite sous-estimée
Si Trinidad n’a pas marqué les esprits comme elle l’aurait mérité, elle reste un des meilleurs exemples de la pop orchestrale et colorée que Sheila savait incarner à cette époque. Plus aboutie que ses précédents titres « exotiques », elle bénéficie du savoir-faire d’Henri Salvador et d’une production soignée. Son semi-échec commercial reste un mystère pour moi, qui l'ai toujours considérée comme l'une de ses meilleures chansons, mais pour les amateurs de curiosités 70s, elle vaut largement une écoute. Parce que parfois, même sur une face B, on trouve des trésors bien cachés.



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